Besoin «urgent» d'orientations pastorales sur Amoris laetitia - Marc Ouellet aux évêques canadiens Journaliste: François Gloutnay
Le cardinal Marc Ouellet, préfet de la
Congrégation pour les évêques et ex-archevêque de Québec, a
demandé hier aux évêques canadiens de faire connaître sans
délai leur réaction commune à l’exhortation apostolique Amoris
laetitia sur la famille et le mariage et d’émettre des
orientations sur les applications pastorales qu’entraînent ce
texte rédigé par le pape François il y a plus d’un an.
Rendu public en avril 2016 après deux rencontres synodales sur
la famille et l’Église, le contenu d’Amoris laetitia
est toujours débattu dans plusieurs cercles catholiques,
principalement en raison de son chapitre 8 consacré à la
question des situations «irrégulières», dont celle des
divorcés-remariés et de leur accès aux sacrements.
«Plusieurs conférences épiscopales ont déjà publié des
orientations plus précises pour leur contexte, par souci de
clarté et d'inculturation», a dit le cardinal Ouellet à tous les
évêques du Canada présents à Cornwall, en Ontario, pour
l’assemblée plénière annuelle de la Conférence des évêques
catholiques du Canada (CECC).
«Un tel exercice m'apparait nécessaire et urgent au Canada où
l'on constate un écart béant entre l'enseignement officiel de
l'Église et le vécu des couples et des familles», a ajouté le
cardinal au début de sa conférence.
Il a par la suite dressé un sombre portrait de la société
canadienne, estimant que cet écart «s'est élargi progressivement
après le concile Vatican II sous l'influence d'une culture de la
contraception, du divorce et de l'avortement, à telle enseigne
que notre pays se signale mondialement par ses législations sur
l'avortement sans restriction, l'euthanasie, le pseudo-mariage
de personnes de même sexe, le suicide assisté, et que sais-je
encore, qui reflète ce que saint Jean-Paul II a déploré comme la
culture de mort».
Le cardinal, né en 1944 dans le village de La Motte, au Québec,
a déploré que les précédentes «interventions magistérielles sur
la famille (ndlr: l’encyclique Humanae vitae et
l’exhortation apostolique Familiaris consortio) ont
reçu un accueil mitigé, voire passivement dissident de la part
de théologiens et de pasteurs, ce qui n'a pas favorisé leur mise
en œuvre pastorale».
Le chapitre 8
Le cardinal Marc Ouellet s’est ensuite longuement attardé au
contenu d’Amoris laetitia, un texte qui compte 325
paragraphes et près de 400 notes de bas de page. Il reconnaît
que c’est par un chapitre, le huitième, que cette exhortation
apostolique s’est «d’abord imposée à l’attention du public,
réjouissant les uns, inquiétant les autres, mais ne laissant
personne indifférent».
Dans ce chapitre intitulé Accompagner, discerner et
intégrer la fragilité, «certains y ont vu enfin la bonne
nouvelle d’une ouverture, si minime soit-elle, vers un accès aux
sacrements pour les personnes divorcées et remariées. D’autres
ont regretté une telle ouverture qui risque, selon eux,
d’instaurer une rupture avec la doctrine et la discipline
traditionnelles de l’Église catholique.»
Mais «toute interprétation alarmiste dénonçant un bris de
continuité avec la tradition, ou bien laxiste célébrant un accès
enfin concédé aux sacrements pour les divorcés remariés, est
infidèle au texte et à l’intention du pape», a affirmé le
cardinal Ouellet.
Le pape François propose plutôt une nouvelle méthode pastorale,
qui ne se limite pas aux familles en situation irrégulière.
Cette méthode se résume dans «les trois verbes accompagner,
discerner, intégrer».
Accompagner les couples et les familles, c’est «avoir confiance
en la grâce à l’œuvre dans la vie des personnes». S’il faut, dit
le cardinal «garder bien en vue l’idéal chrétien», il faut aussi
intervenir «en ayant aussi en tête le principe de la gradualité,
qui ne signifie pas la 'gradualité de la loi', mais la
gradualité de l’assimilation de ses valeurs par les sujets».
Discerner les situations irrégulières est un art qui fait
«appel à des principes qui permettent de définir les situations
et leurs causes, les circonstances atténuantes, les changements
possibles selon la conscience morale des personnes et les cas
d’exceptions compte tenu de la distance entre la norme générale
et les situations particulières». Ce discernement va jusqu’à
reconnaître «la possibilité de vivre subjectivement en grâce
dans une situation objective de péché», une notion d’Amoris
laetitia qui est fortement contestée par des théologiens
conservateurs.
Une telle attitude pastorale «peut ouvrir à recevoir l’aide des
sacrements de pénitence et d’eucharistie dans certains cas»,
admet le cardinal. Mais cet accès aux sacrements, qu’il ne faut
ni généraliser ou banaliser, doit être «discerné soigneusement
dans une logique de miséricorde pastorale».
Il est donc erroné de voir ces exceptions comme «un changement
de la doctrine ou de la discipline sacramentelle», a dit le
cardinal. Il s'agit d'une «une application plus différenciée et
adaptée aux circonstances concrètes et au bien des personnes».
Conversion du regard
Pour l’ancien archevêque de Québec, Amoris laetitia
oblige dorénavant les pasteurs «à une conversion du regard et à
une attitude d’accueil».
Les prêtres et les évêques doivent «s’efforce[r] de valoriser le
bien déjà existant dans la vie des personnes et de les
accompagner progressivement vers une réponse plus complète au
dessein de Dieu sur leur vie».
Plutôt que de condamner les couples en situations difficiles,
ils doivent «voir les valeurs concrètement vécues dans la
diversité des situations et accompagner les personnes dans leur
recherche de vérité et leurs choix moraux correspondants».
Il revient aussi aux pasteurs «de discerner les pas à faire pour
vivre en plénitude le sacrement déjà reçu, ou pour cheminer peu
à peu vers sa réception consciente et fructueuse, ou encore pour
régulariser une situation objectivement irrégulière, mais pas
toujours moralement imputable».
Il résume ainsi cette conversion du regard. Cela «consiste à
voir non seulement la norme plus ou moins parfaitement vécue,
mais la personne concrète dans sa tension vers le bien, de
valoriser ce qu’elle vit et de l’accompagner dans le
discernement progressif des choix possibles pour une sainteté
plus grande ou une intégration plus pleine à la communauté
ecclésiale».
Peu importe leur «statut public de fidèle bien en règle, de
catéchumène en chemin, de baptisé distant, de concubin ou de
divorcé remarié», tous méritent d’être accueillis par l’Église
qui doit mener, au lendemain de la publication d’Amoris
laetitia, une «salutaire réaction d’autocritique».
Le cardinal Marc Ouellet a prononcé toute sa conférence en
français, après avoir salué, en anglais, les évêques présents à
Cornwall.
Lisant ses notes d’un seul trait (en précisément 44 minutes),
il s’est toutefois accordé trois brèves pauses, deux fois pour
avaler une gorgée d’eau et une autre fois, à la toute fin,
lorsqu’une alarme d’incendie - un exercice, a-t-on expliqué - a
brièvement retenti dans la salle de conférences du Centre Nav.
Le cardinal prononcera une seconde conférence sur Amoris
laetitia, à huis clos cette fois, pendant la
plénière de la CECC.
Il n'a pas répondu à la demande d'entrevue de Présence.
11:46:37 AM